me sowiendra (ou l'usage de la parole)

Julien Bismuth, Eric Giraudet de Boudemange, Camila Oliveira Fairclough, Lina Viste Grønli
Index, May 14 - 22, 2016

Courtesy of the artists, photo © Laurent Hopp



Toute pensée émet un coup de dés (1). De fait, elle peut se manifester par une suite de chiffres, mais aussi l’établissement ponctuel d’un code, un système, un accord plus ou moins arythmétique. Ainsi, se profile le désir fantasmé de l’hypothétique et infini démantèlement du classique objet du hasard. Supposé que ces faces puissent se parer de lettres tout comme de chiffres. Cette fugue de signes devriendrait aisément l’outil parfait pour sciemment composer des phrases, les décomposer, recomposer, voire même réciter ces sentences tantôt compréhensibles, du moins incompressibles. Une phonologie vivant à l’endroit - ou pas : “Depuis des années, des mois, des jours, depuis toujours, c’était là, par-derrière, mon envers inséparable… et voici que d’un seul coup, juste avec ces deux mots, dans un arrachement terrible tout entier je me retourne… Vous le voyez : mon envers est devenu mon endroit. Je suis ce que je devais être. Enfin tout est rentré dans l’ordre : Ich sterbe.“ (2)

Ici & maintenant, l’écriture peut s’entendre et se rencontrer sous différentes variétés, promesses ou espèces. Telle quelle, reproduite à l’envers ou encore sténographiée afin de retranscrire et transformer un simple échange informel entre des protagonistes aujourd’hui éloignés. Voilà qu’elle ressemble soudainement, à une succession de lettres de Carl André et notamment à ses passeports poétiques, longs poèmes parsemés d’erreurs. (3) Exit, l’écriture automatique et autres intuitions de pensées orchestrées par certains outils téléphoniques modernes. Place à un nouveau tapuscrit annonçant un programme non moins alléchant ! Ajoutez à cela, quelques mains surplombées de sceptres désignant habilement les oeuvres, celles là-mêmes qui se gantent pour laisser élégamment aller la conversation au hasard, s’adossent aux murs et officient telles de nouvelles captions et pensées adjacentes. Un vrai rôle de composition pour ces membres devenus personnages à part entière… Des spectres, empreints d’un territoire manifestant une histoire parmi l’Histoire et marquant la volonté d’énoncer ou de mettre en scène un dialogue. Cet élan vers le langage annonce l’avidité d’une communication potentielle; ou encore la discrète émergence d’un rébus insoluble à l’image de Coca-Cola, Chinese Cup & Genealogy of Morality se donnant en spectacle.

Alors, que voyons-nous (enfants de Karl Marx et de Coca-Cola) ? Un retour de vague froide ou le simple plaisir d’associer la lecture de Nietzsche à la dégustation de bulles sucrées Made in USA dans un facsimilé exotique. Ne serait-ce pas plutôt l’apparition d’un nouvel algorithme de sons jouant avec notre vision de la parole, notre besoin de compréhension et annonçant par là-même que s’il vient à point, me sowiendra. (4)

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1. Vous l’aurez évidemment reconnu, il s’agit d’Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, Stéphane Mallarmé, page 25, premier tirage Juillet 1914.
2. L’usage de la parole, Ich Sterbe, Nathalie Sarraute, page 16, Folio, Janvier 1983.
3. Passport, Carl André, ca. 1960-1963, typewriting on paper, 10 7/8 x 8 5/16 inches, 28 pages.
4. Me Sowiendra, Camila Oliveira Fairclough, 2010, scrubbing on paper, 20 x 28 cm, unique.


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Each thought produces a roll of the dice. (5) De facto, it can be expressed by a series of figures, by an isolated set-up of a code, a system or a rough arithmetical progression. In this way, we may see the fantasized desire of the hypothetical and infinite dismantling of blind chance. Let’s admit those dice could have letters and figures. This fugue of signs could easily become the perfect tool in order to deliberately construct sentences, deconstruct, reconstruct them or even say those sentences either in a comprehensible or incompressible way. A phonology at the right place or not: “For years, months, days and forever, it has been here, my inseparable back… then suddenly, with two words only, in an awful wrench, I turn over… and as you can see, my back has become my front. I am what i should have been. Everything is finally back in order: Ich Sterbe". (6)

From here to there, writing can be heard and met in several types, promises or sorts. It can be regular, on the reverse side or short handed in order to transpose or transform a simple exchange between two protagonists now kept apart. It suddenly looks like a series of Carl Andre’s letters, like his poetic passports, long poems full of mistakes. (7) Say goodbye to the automatic writing and other thinking intuitions like modern tools could provide. Give way to hand-written manuscripts with a nonetheless attractive program. Add some hands full of advices to refer to the pieces of work, those hands in elegant gloves that can lead a conversation completely by chance, that can lean against the walls and behave like a new caption with adjacent thoughts. A real character study for those members now fully fledged real characters… Ghost suffused with a territory defining their own histories within History and the will to pronounce and dramatize a dialogue. This urge for speech shows a potential communication, or a discreet appearance of an insoluble rebus like Coca-Cola, Chinese Cup & Genealogy of Morality making a spectacle of themselves.

So, what do we see (we, the children of Karl Marx & Coca-Cola)? A new cold wave according to the simple pleasure of linking the reading of Nietzsche to the taste of sweet bubbles Made in USA in an exotic facsimile? Could it be the birth of a new algorithm made of sound, playing with the way we think about speech, our need of understanding and then letting show that if it comes in time, me sowiendra. (8)

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5. You’ll obsviously recognized :“Un coup de dés jamais n’abolira le hasard“, Stéphane Mallarmé, page 25, first edition, July 1914.
6. L’usage de la parole, Ich Sterbe, Nathalie Sarraute, page 16, Folio, Janvier 1983.
7. Passport, Carl André, ca. 1960-1963, typewriting on paper, 10 7/8 x 8 5/16 inches, 28 pages.
8. Me Sowiendra, Camila Oliveira Fairclough, 2010, scrubbing on paper, 20 x 28 cm, unique.

translated by Aude Chagnon Caumet