Spaces to see, Rétrospective, Babette Mangolte, Musée de Rochechouart
Spaces to See est un titre pluriel choisi par Babette Mangolte. Née en 1941, la réalisatrice franco-américaine a étudié à l’école de cinéma et de photographie à Paris. En 1970, elle décide d’aller à New-York motivée par le désir de voir certains films d’avant-garde de Jonas Mekas, Stan Brakhage ou Michael Snow dont le film Wavelenght la marquera profondément. (1) De son œuvre, nous connaissons le travail de documentation des chorégraphes du Judson Dance Theater tels que Trisha Brown, Lucinda Childs, Simone Forti, Steve Paxton, Yvonne Rainer ainsi que son regard en tant que directrice de la photographie auprès de Chantal Akerman. Présentée jusqu’au printemps au Musée de Rochechouart, sa première rétrospective en France propose de re-contextualiser son approche singulière dans un rapport analytique avec d’une part l’architecture (de New York), le paysage des Etats-Unis, d’Europe et même des abords de Rochechouart et d’autre part le mouvement - figure centrale de l’œuvre.
Dès le début de sa photographie, Babette Mangolte associe son propre déplacement à celui des chorégraphes et développe par la même une nouvelle subjectivité. Ainsi, ses images donnent une visibilité au mouvement qu’il soit perceptible - ou non - à l’œil nu. En découle un trouble certain de l’image, une présence nouvelle pour un vocabulaire de gestes à l’épreuve de leurs durées. À l’instar de Water Motor pour lequel elle tourne à deux reprises une improvisation de Trisha Brown ralentissant dans un deuxième temps le mouvement à quarante huit images secondes. (2) En exposant ce film dès l’entrée de l’exposition, elle nous introduit parfaitement à son positionnement technique hors-pair. Face à lui, nous découvrons un ensemble d’images, marqueurs d’une signature documentaire qui réapparaitront à plusieurs reprises. Ses enregistrements qu’ils soient photographiques ou filmiques sont parfois les seuls témoins et laissent transparaitre une urgence contrainte par les techniques d’enregistrements de l’époque ainsi qu’un compte-rendu détaillé nécessaire à toute tentative de reconstitution. (3)
Images fixes, images animées, le parcours de l’exposition oscille sans cesse entre ces deux états et développe même une forme d’ubiquité lorsqu’elle dispose le portrait de son loft new-yorkais, de telle sorte que l’ensoleillement du musée offre à certaines heures de la journée un reflet similaire à celui des fenêtres de son homologue américain. (4) Par là même, Spaces to See déploie une lecture tant synchronique que diachronique de l’espace. Notamment à travers Film pour une échauguette dans lequel apparaît un cadrage serré, réplique exacte du paysage observé par la fenêtre quelques mois plus tôt qui réapparaitra donc au printemps prochain (également carton d’invitation). De par cette superposition multiple, ce film d’une durée de quelques minutes se joue de diverses ambiguïtés chronologiques pour finalement se laisser recouvrir telle la jetée de la plage de la Hoguette à Saint-Malo - ou comment la côte bretonne joue sans le savoir avec la sémantique de l’image !
Au même étage, quelques mètres plus loin, lui succède The Camera : Je or La Camera : I. Film séminal basé sur une analyse sémiotique de l’œil. Lors de sa réalisation, Babette Mangolte met en place un procédé technique simulant l’enregistrement de la lentille photographique afin de diriger plusieurs personnages masculins et féminins. En découle un plaisir d’identification immédiat du spectateur tant à l’image qu’à la voix-off. Cette exploration de la caméra dite “subjective“ est sans doute l’œuvre incarnant le mieux la pensée de la réalisatrice tant par la radicalité du processus de capture que vis à vis de celle obtenue. Ici, le spectateur est non seulement témoin mais complice d’une tension entre photographe et photographié.e. Ce film, plus que tout autre, personnalise un rapport entretenu avec l’image tant fixe qu’animée, tout comme le passage de l’une à l’autre. Cette position omnisciente déploie parfaitement les divers changements de paradigmes (à l’œuvre sur l’ensemble du parcours) entre sujet dansant et dansé, photographiant et photographié, filmant et filmé.
Au dernier étage, nous retrouvons une typologie similaire de portrait, enregistré lors du même tournage, puis finalement isolée. Il s’agit d’un court métrage présentant Richard Serra (d’ailleurs peu à l’aise). (5) Face à lui, Yvonne Rainer se jouant de la caméra en improvisant quelques actions sur son visage à l’aide d’un morceau d’adhésif, le tout sur fond de documents de recherche dus à l’élaboration simultanée de Live of Performers. (6) Tentative d’épuisement du portrait ou de son figuré, Babette Mangolte nous invite à rencontrer autrement ces deux artistes. Il est d’ailleurs impossible de les percevoir ensemble puisque les deux moniteurs se font face, l’attention vers l’un nous détache indéniablement de l’autre - et inversement. C’est donc véritablement par notre propre corps que nous devons dorénavant expérimenter l’image. Une sensation renforcée par l’absence d’assises, et ceci afin de développer un travail réflexif (et physique) autour de l’installation.
S’en dégage, une nouvelle typologie d’espaces (Edward Krasinski’s Studio, 2011, Patricia Patterson Painting, 2008) mais aussi une double projection accompagnée de tirages photographiques (Présence, 2008) laquelle donne à voir des films plus anciens tels que ((Now) or Maintenant entre parenthèses, 1976), répétition tant poétique que sémiologique célébrant le temps scopique du spectateur - son présent.
Spaces to See est un titre pluriel choisi par Babette Mangolte. Née en 1941, la réalisatrice franco-américaine a étudié à l’école de cinéma et de photographie à Paris. En 1970, elle décide d’aller à New-York motivée par le désir de voir certains films d’avant-garde de Jonas Mekas, Stan Brakhage ou Michael Snow dont le film Wavelenght la marquera profondément. (1) De son œuvre, nous connaissons le travail de documentation des chorégraphes du Judson Dance Theater tels que Trisha Brown, Lucinda Childs, Simone Forti, Steve Paxton, Yvonne Rainer ainsi que son regard en tant que directrice de la photographie auprès de Chantal Akerman. Présentée jusqu’au printemps au Musée de Rochechouart, sa première rétrospective en France propose de re-contextualiser son approche singulière dans un rapport analytique avec d’une part l’architecture (de New York), le paysage des Etats-Unis, d’Europe et même des abords de Rochechouart et d’autre part le mouvement - figure centrale de l’œuvre.
Dès le début de sa photographie, Babette Mangolte associe son propre déplacement à celui des chorégraphes et développe par la même une nouvelle subjectivité. Ainsi, ses images donnent une visibilité au mouvement qu’il soit perceptible - ou non - à l’œil nu. En découle un trouble certain de l’image, une présence nouvelle pour un vocabulaire de gestes à l’épreuve de leurs durées. À l’instar de Water Motor pour lequel elle tourne à deux reprises une improvisation de Trisha Brown ralentissant dans un deuxième temps le mouvement à quarante huit images secondes. (2) En exposant ce film dès l’entrée de l’exposition, elle nous introduit parfaitement à son positionnement technique hors-pair. Face à lui, nous découvrons un ensemble d’images, marqueurs d’une signature documentaire qui réapparaitront à plusieurs reprises. Ses enregistrements qu’ils soient photographiques ou filmiques sont parfois les seuls témoins et laissent transparaitre une urgence contrainte par les techniques d’enregistrements de l’époque ainsi qu’un compte-rendu détaillé nécessaire à toute tentative de reconstitution. (3)
Images fixes, images animées, le parcours de l’exposition oscille sans cesse entre ces deux états et développe même une forme d’ubiquité lorsqu’elle dispose le portrait de son loft new-yorkais, de telle sorte que l’ensoleillement du musée offre à certaines heures de la journée un reflet similaire à celui des fenêtres de son homologue américain. (4) Par là même, Spaces to See déploie une lecture tant synchronique que diachronique de l’espace. Notamment à travers Film pour une échauguette dans lequel apparaît un cadrage serré, réplique exacte du paysage observé par la fenêtre quelques mois plus tôt qui réapparaitra donc au printemps prochain (également carton d’invitation). De par cette superposition multiple, ce film d’une durée de quelques minutes se joue de diverses ambiguïtés chronologiques pour finalement se laisser recouvrir telle la jetée de la plage de la Hoguette à Saint-Malo - ou comment la côte bretonne joue sans le savoir avec la sémantique de l’image !
Au même étage, quelques mètres plus loin, lui succède The Camera : Je or La Camera : I. Film séminal basé sur une analyse sémiotique de l’œil. Lors de sa réalisation, Babette Mangolte met en place un procédé technique simulant l’enregistrement de la lentille photographique afin de diriger plusieurs personnages masculins et féminins. En découle un plaisir d’identification immédiat du spectateur tant à l’image qu’à la voix-off. Cette exploration de la caméra dite “subjective“ est sans doute l’œuvre incarnant le mieux la pensée de la réalisatrice tant par la radicalité du processus de capture que vis à vis de celle obtenue. Ici, le spectateur est non seulement témoin mais complice d’une tension entre photographe et photographié.e. Ce film, plus que tout autre, personnalise un rapport entretenu avec l’image tant fixe qu’animée, tout comme le passage de l’une à l’autre. Cette position omnisciente déploie parfaitement les divers changements de paradigmes (à l’œuvre sur l’ensemble du parcours) entre sujet dansant et dansé, photographiant et photographié, filmant et filmé.
Au dernier étage, nous retrouvons une typologie similaire de portrait, enregistré lors du même tournage, puis finalement isolée. Il s’agit d’un court métrage présentant Richard Serra (d’ailleurs peu à l’aise). (5) Face à lui, Yvonne Rainer se jouant de la caméra en improvisant quelques actions sur son visage à l’aide d’un morceau d’adhésif, le tout sur fond de documents de recherche dus à l’élaboration simultanée de Live of Performers. (6) Tentative d’épuisement du portrait ou de son figuré, Babette Mangolte nous invite à rencontrer autrement ces deux artistes. Il est d’ailleurs impossible de les percevoir ensemble puisque les deux moniteurs se font face, l’attention vers l’un nous détache indéniablement de l’autre - et inversement. C’est donc véritablement par notre propre corps que nous devons dorénavant expérimenter l’image. Une sensation renforcée par l’absence d’assises, et ceci afin de développer un travail réflexif (et physique) autour de l’installation.
S’en dégage, une nouvelle typologie d’espaces (Edward Krasinski’s Studio, 2011, Patricia Patterson Painting, 2008) mais aussi une double projection accompagnée de tirages photographiques (Présence, 2008) laquelle donne à voir des films plus anciens tels que ((Now) or Maintenant entre parenthèses, 1976), répétition tant poétique que sémiologique célébrant le temps scopique du spectateur - son présent.
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[1] Wavelenght, réalisé en 1976 par Michael Snow, film emblématique de l’esthétique structurelle au cinéma. Cette œuvre consiste en un long zoom de quarante cinq minutes pendant lequel le réalisateur américain filme une photographie accrochée sur le mur d’un loft. La camera impose à la fois son déplacement et son rythme lent à l’apparition de l’image.
[2] Water Motor, 1978, film, noir et blanc, muet, 7 minutes.
[3] Tel fut le cas en 2011 lors de la programmation de Roof Piece de Trisha Brown (initiée en 1971) par la High Line Art Commissions
de New York.
[4] Il sera par ailleurs le lieu de tournage la même année de son premier long-métrage What Maisy Knew, d’après un roman d’Henry James.
[5] Film Portrait of Richard Serra,1977, l’artiste était alors voisin de Babette Mangolte.
[6] Yvonne with Tape, 1972. La même année, Yvonne Rainer réalise son premier long métrage pour lequel Babette Mangolte dirige la photographie. Lives of Performers, film 16mm, noir et blanc, son, 90 minutes, Collection Centre Pompidou, Paris, Museum of Modern Art, New York.