Rumeurs et Légendes, Un nouveau parcours dans les collections du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris. 

Rumeurs et Légendes propose un parcours entre rétrocipation et anticipation d’une approche structurelle de la narration. En 1954, Gordon W. Allport analyse la rumeur comme un phénomène répondant à trois phases distinctes. La simplification du message initial. L’assimilation puis l’accentuation de son contenu par le sujet. La diffusion personnalisée pouvant parfois devenir virale. (1) À ce titre, l’histoire jadis uni-personnelle devient rapidement collective et même prophétique selon un processus d’auto-validation. (2) Difficile de ne pas percevoir ici, une certaine référence à l’art (et à son histoire) inscrit dans un cycle similaire d’appropriation et de contamination permanente. Le nouvel accrochage des collections du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris revient sur ce phénomène tout comme celui de légende en tant que dispositif de transmisson du récit entre figuration tant individuelle que collective.

Parmi lesquelles nous retrouvons Etienne Martin ayant inspiré à Harald Szeemann le terme de mythologies individuelles lors de sa rétrospective à la Kunsthalle de Bern en 1963, mais aussi Une Passion dans le désert présentant les amours singuliers d’un soldat et d’une panthère. Animal tant sauvage qu’emblème érotico-exotique, la panthère tout comme le léopard sont omniprésents comme motifs ornementaux, images d’une certaine domestication genrée de l’animal. À noter que dans la Grèce antique il fut associé aux amazones puis à la déesse Diane et signifit alors davantage une forme d’émancipation. (3) Cette suite de treize tableaux empruntant son titre à l’ouvrage d’Honoré de Balzac est une véritable dérive - tant colorée que collective - de la neo-peinture de l’époque. Elle fut exposée lors de mythologies quotidiennes au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris pendant l’été 1964. (4) Suivent un ensemble de toiles toujours associées au mouvement de la figuration narrative parmi lesquels Gérard Fromanger et son superbe Film-Tract n°1968 réalisé avec Jean-Luc Godard à la technique, lent travelling rouge envahissant le drapeau français. Tout comme Jacques Monory et son analyse particulière du bleu : “la couleur de l’illusion. J’ai peint beaucoup de tableaux réalistes et violents ; le bleu était la plaque de protection“. Que reste-t il aujourd’hui de cette volonté de protection ou dénonciation de l’image par la peinture ? Peu à peu, le parcours se déplace vers d’autres figures historiques et auteurs de mythologies personnelles telles qu’Annette Messager ou Christian Boltanski. Ce que semble souligner la présence de ces œuvres - tout comme celles des artistes cités plus tôt - est notre capacité même de résistance ou d’adhérence aux récits personnels.

Les deux dernières parties de Rumeurs et Légendes abordent cette question par une sélection d’acquisitions récentes. Intitulées le digital et l’organique et le point aveugle, elles évoquent d’une part la contamination de l’image qu’elle soit d’origine naturelle ou artificielle et d’autre part le point culminant de non recevoir de la rétine. Vocabulaire du désir et de sa propagation, l’image se présente aujourd’hui sous forme de messages imitant le poster adolescent, le clip publicitaire, les code visuels du marketing ou encore le teaser cinématographique - ou comment les artistes s’emparent de cette iconographie capitaliste afin d’en proposer une nouvelle légende. Le point aveugle est aussi parfois appelé tache aveugle, il n’est autre que la liaison entre l’œil et le cortex cérébral transformant ainsi le globe oculaire en presqu’île. Il est également associé au processus même de reconstitution de cette part manquante de l’image par l’encéphale. Un constat amplifié par l’avènement d’internet, des réseaux sociaux et la prépondérance des fake news. En cela, l’installation (forme libre de panneau ou d’écran publicitaire) We've Ne'er Gotten (5) incarne parfaitement les faits observés et ceci amplifié par la rencontre avec cet adolescent tant aveuglé que multi-connecté dont le langage s’est lui-même vidé de quelques phonèmes. Cette œuvre emblématique de David Douard, les Lights (6) de Mélanie Matranga suite de bulbes lumineux alimentés par le même système électrique, tout comme l’ensemble des artistes convoqués dans cette dernière section, évoque une sollicitude ou solitude permanente face aux écrans et à leurs systèmes (rétro)-éclairants laissant même parfois apparaitre une zone grise indéterminée entre espace intime et collectif.

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[1] The Nature of prejudice, Gordon W. Allport, 1954.
[2] Sociologie des rumeurs, Un bruit qui court,France Culture, 2005.
[3] Dispersion du motif léopard, projet de recherche de l’artiste Julie Buffard-Moret, http://leopard-skinpillboxhat.tumblr.com/
[4] Une passion dans le désert, Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo, Antonio Recalcati, 1964.
Mythologies quotidiennes, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Juillet 1964.
[5] David Douard, We've Ne'er Gotten, 2015, bois, aluminium, grille en métal, tissu, oeufs, néons 200 x 361 x 210 cm.
[6] Mélanie Matranga, Lights, 2016, plastique, opalines, câbles, dimensions variables.