La Fôret à perdre la raison, Adrien Vescovi, Galerie Bernard Ceysson, Saint Etienne
Protagoniste principal du règne végétal, la chlorophylle à pour origine l’absorption des composants rouge et bleu de la lumière qu’elle transforme en énergie vitale. Elle est d’ailleurs la seule a pouvoir - non sans une certaine dose de magie - transformer la banale rencontre d’un cyan et d’un magenta en vert menthe à l’eau. Cet élément naturel est aujourd’hui l’un des ingrédients principaux des mélanges, décoctions et autres mix-peintures d’Adrien Vescovi. Par un procédé se rapprochant de celui de la teinture, il développe les principes actifs d'une substance en portant un liquide à ébullition et entreprend ensuite la colorisation progressive de ses toiles. Ces tissus ont la particularité d’être libres de structures puisque leur chassis s’est fait la malle et réapparaît parfois sous une autre forme : assise improvisée pour spectateurs, sommier janséniste ou encore tablette pour mélanges de pigments colorés. Déclassant ainsi un simple cadre venant soustraire la peinture à ce plan minimal plus ou moins confortable sur lequel nous serons amenés à méditer, observer et apprécier un paysage dessalé.
À l’instar de la révolution incarnée par l’apparition des pigments en tubes utilisée par les peintres liés à Impression, soleil levant (1), l’artiste démantèle lui-aussi la surface et le support de la peinture en déplaçant son atelier d’une simple et banale appréhension orchestrée à la verticale vers une nouvelle horizontalité. En effet, cette dérive touche non seulement le sujet même de sa peinture mais également le lieu de son apparition. Ainsi il construit chacun de ses ateliers en porosité avec la vallée, le jardin tout comme la rue, la ville, sa périphérie, de jour comme de nuit. Loin des embarcations d’Argenteuil, majestueuses cathédrales et diverses joies liées au parcours des contrées normandes, il en résulte tout de même un intérêt commun pour la fidèle restitution d’une luminosité évoquant une certaine météorologie des sentiments. De fait, la perception de ces changements climatiques orchestrent l’essence de sa peinture qu’elle soit temporairement installée sur un toit du passage des Cloys, une station de ski proche du territoire helvétique ou encore en pleine rue lors de sa résidence à la galerie de Noisy le Sec. Les peintures d’Adrien Vescovi sont des fenêtres soumises aux variations du ciel, ce sont donc très naturellement les rayonnements diurnes ou crépusculaires entre ultraviolet et infrarouge qui s’imposent aujourd’hui comme impressions. Elles sont ensuite composées et associées les unes aux autres. Symbole de ce nomadisme constant, elles se manifestent sous forme de scènes claires, vivement colorées ou tie & dye, transportées, accrochées et parfois même abandonnées. Leur forme la plus récente reprend celle d’une suspension ou d’un hamac : lit temporaire, symbole d’oisiveté mais aussi véritable invitation à une sieste à l’abri des regards. Ce lit de fortune permet au dormeur de s’isoler sans pour autant l’extraire du contexte même de l’exposition. Quoi de plus beau que de se laisser littéralement enlacer par la peinture.
Ce sleeping bag suspendu n’est pas sans rappeler les panoramas et autres environnements picturaux restituant des champs de couleur à perte de vue ou encore un certain jardin de Giverny - seul élément notable de la visite de la villégiature de Monet en banlieue parisienne. Il nous suggère également que cet habitacle éphémère pourrait être le fruit d’un isolement insulaire. Ou le plaisir de la solitude, de la vie et des aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoe, un marin qui vécut 28 ans sur une île déserte de la côte de l'Amérique.
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1. Impression, soleil levant, Claude Monet, 1872, huile sur toile, 48 x 63 cm.
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The forest beyond reason
Known as the main protagonist within the plant kingdom, chlorophyll absorbs the red and blue components from sunlight, which it transforms into vital energy. It is for that matter, and in a magical sort of way, the only structure that can transform the plain encounter of cyan and magenta into a brilliant mint green. This natural element is one of the main ingredients in Adrien Vescovi's mixtures, infusions, and other painting mixes. Through a process akin to dye, he develops a substance's active principle by boiling a liquid and progressively tinting the canvases. His fabric is structure-free, the frames disappear only to reappear in another form: at times as improvised seating for the viewers, a Jansenestic bed base, or a colored-pigment mixing tablet. Disrupting the frame itself, he removes the painting from the roughly comfortable minimal surfaces onto which we are invited to contemplate, observe, or appreciate a desalinated landscape.
In the same way colors in tubes cause a revolution among artists linked to Impression, soleil levant (2), Adrien Vescovi deconstructs the painting medium and surface with every migration of his studio, switching from a more simple and common vertical apprehension, to a new horizontally engineered one. Indeed this shift not only concerns the painting's subject but also the place in which the painting appears. It is with this mindset that he builds each one of his permeable studios, capable of adapting to a valley, to a garden or a street, a city, a suburb, in the daytime or at night. Though a long way from the boats in Argenteuil, from the majestic cathedrals, or joys one can experience visiting the Norman countryside, there still remains a common interest in faithfully reproducing a light that conjures an impressionist meteorology.
In fact, these perceptible climatic changes compose the essence of his painting, whether it is temporarily installed on a roof in the passage des Cloys, at a ski resort near the Swiss border, or in the middle of the street, during his residency at the gallery in Noisy le Sec. Adrien Vescovi's paintings are windows exposed to the sky's fluctuations, balancing between crepuscular and diurnal rays, on which ultraviolet and infrared impressions naturally predominate. They are later associated and assembled together. These epitomes of constant nomadism appear to us as scenes of light, brightly colorful or tie and dye constructions, they are transported, hanged, and sometimes abandoned. Their more recent form echoes a suspension or hammock: a temporary resting place that symbolizes leisure but also an invitation to take a nap, out of sight. This makeshift bed offers isolation without extracting the sleeper from the exhibition and its context. What more splendid feeling than to be literally cradled by a painting?
This hanging sleeping bag evokes the panoramas and other pictorial renditions of endless color ranges or a certain garden in Giverny - the truly noteworthy element of Monet's home in the Parisian suburbs. And yet, this ephemeral vessel could also be the fruit of a sort of islander seclusion, motivated by the pleasures of solitude, by the life and strange surprizing adventures of Robinson Crusoe, the sailor who spent 28 years on an un-inhabited island on the coast of America.
Translated by Naima Saidi.
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2. Impression, soleil levant, Claude Monet, 1872, oil on canvas, 48 x 63 cm.