Always Someone Asleep and Someone Awake

Anne Collier, Ceal Floyer, Liam Gillick et Gabriel Kuri, Robert Heinecken, Amy O’Neill, Pierre Paulin, Bruno Serralongue, Galerie des Galeries, 30 Nov 2017 - 25 February 2018

Courtesy Air de Paris, Anton Kern, Esther Schipper, The Modern Institute, Petzel Gallery, Praz Delavallade, photo © Hélène Mauri.



En Mars 1968, George Brecht et Robert Filliou annoncent la création de La Fête permanente / The Eternal Network [1]. Cette fête ne possède ni début, ni fin, elle est éternellement renouvelée. (There is) Always Someone Awake and Someone Asleep propose de revenir sur cet état d’éveil continu, à travers notamment une sensation de pleine lune, blanche comme la nuit.

Aujourd’hui doit être un jour de fête“ nous disent Liam Gillick et Gabriel Kuri. À quoi ils ajoutent “des jours spéciaux ont été proclamés sans préjuger de l’usage que nous en ferons“. Intitulée La Fête au Quotidien, cette œuvre est une partition structurelle basée sur le temps inhérent à l’exposition. Pour ce faire, des jours spécifiques ont été attribués afin de célébrer de nouveaux événements tels que le jour du hasard et de la chance, le jour de la musique (qui ne sera pas cette fois le plus long de l’année, ni même annonciateur de l’été). Le jour des couche-tard, le jour du banissement de la nostalgie ou encore le jour du sentiment d’extase. Autant de nouvelles fêtes d’une durée déterminée qui rejoindront peut-être un futur calendrier partagé. La Fête au Quotidien nous amène à repenser nos coutumes de célébrations qu’elles se manifestent sous forme de fêtes mobiles ou programmées à dates fixes. Mais, que signifie célébrer aujourd’hui ? Alors que de nouvelles journées semblent sans cesse dédiées à des causes à priori consensuelles, de quelle façon recentrer notre intérêt sur le concept de fête et peut-il encore être symptomatique d’une génération ? [2] En 1984, Eric Rohmer réalise Les Nuits de la pleine lune dans lequel Pascale Ogier (icône des années 80) hésite entre une vie de noctambule parisienne et le calme de la banlieue. Une des scènes les plus emblématiques du film est une fête tournée dans le club parisien les 120 Nuits.[3] À ce propos, le réalisateur confie qu’il est toujours difficile de filmer une fête, ce serait même selon lui, la mimicry la plus complexe à enregistrer.[4] (There is) Always Someone Awake and Someone Asleep réunit des œuvres de cette période, les florissantes et fluorescentes années quatre vingt, mais aussi celles des années quatre ving dix, deux mille, deux-mille dix et ceci jusqu’à présent afin de donner une visibilité à un spectre élargi de conventions, signes et langages associés aux fêtes, de jour comme de nuit. C’est d’ailleurs le difficile exercice que semble présenter la volonté d’analyse de la Fête. Alors, comment se déroulait-elle en 1984 ? Et, comment se passe-t-elle aujourd’hui ? Imaginez la conversation entre Mick Jagger et Roland Barthes au Palace juste avant l’élection de François Mitterand ?[5] Selon l’auteur des Mythologies qui fréquentait assidûment l’établissement : “Le Palace rassemble dans un lieu original des plaisirs ordinairement dispersés : celui du théâtre comme édifice amoureusement préservé […] l’exploration de sensations visuelles neuves, dues à des techniques nouvelles ; la joie de la danse, le charme des rencontres possibles. Tout cela réuni fait quelque chose de très ancien, qu’on appelle la fête, et qui est bien différent de la distraction : tout un dispositif de sensations destiné à rendre les gens heureux, le temps d’une nuit.“[6] Les fêtes sont donc ces rassemblements ayant lieu dans des espaces en soi, privés (ou pas), nocturnes (mais pas nécessairement) révélateurs d’une époque, d’une communauté, d’un plaisir, le tout dans la projection d’un temps social et politique singulier.

En 1994, Bruno Serralongue réalise une de ses premières séries intitulée : Les Fêtes. Pour cela, il parcourt la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur après avoir contacté les mairies avoisinantes et offices du tourisme afin de collecter des informations sur les diverses manifestations estivales. Elle réunit par là même une variété de festivités en tout genre parmi lesquelles La Fête du Palmier, La Fête de la Musique (la voici, de nouveau), Le Bal de Bacchus. Autant de tentatives afin de détourner l’attention touristique naturellement attirée par les abords de la Méditerranée. Deux ans plus tard, Liam Gillick et Gabriel Kuri signent La Fête au Quotidien (évoqué plus tôt). Fin de la même décennie, Amy O’Neill présente Post-Prom à l’occasion de l’exposition collective “The Bastard Kids of Drella/Part 9“ organisée par Steven Parrino au Consortium.[7] Une installation all-over dans laquelle arcs-en-ciels en ballons de baudruche, canons à confettis ou autres décorations orchestrent la reconstitution du Bal de fin d‘année de Carrie.[8] Alors, à quoi rime ce doux sarcasme ? Et quels pourraient être les tropismes actuels de la fête ? Observez maintenant autour de vous, apercevez-vous Anger écrit sur une cassette audio. Que signifie ce médium d’enregistrement devenu obsolète. N’est-ce pas la métonymie d’une vision nostalgique d’un temps et son particulier. Ce mot laisse aussi échapper un nouveau support analogique à de futurs récits idiosyncratiques. Au même titre que la série Questions d’Anne Collier, il nous interroge sur les connections entre les différents protagonistes de cette fête. Comment les événements, leurs acteurs et commanditaires se connectent entre eux ; pour quelles raisons et quelles conséquences ? Peut-être est-ce dans la nuit, comme l’échange entre Pierre Paulin et Philippe Decrauzat enregistré jusqu’au matin. Ce dialogue sera retranscrit sous forme d’un poème imprimé sur doublure intégré à un système d’ouverture à glissière laissant partiellement entrevoir le texte. Ou encore par un jeu d’accointances entre expressions faciales. À l’instar des Lessons in Posing Subjects de Robert Heinecken analysant les codifications et messages inconscients de nos gestes et attitudes corporelles jouées face à la caméra. Ces mannequins sont re-photographiés à partir de pages de magazines et catalogues divers, les para-images obtenues deviennent ainsi des analyses médiatiques et comportementales d’une époque. À la lecture des textes surplombant ces polaroïds, difficile de ne pas succomber à une certaine ironie et laisser échapper un rire ou demi-sourire. Un sentiment pareillement à l’œuvre dans l’installation de Ceal Floyer, Mutual Admiration, boucle infinie d’applaudissements dont les hauts-parleurs installés face à face, semblent eux-mêmes indéfiniment incarner les auteurs de ces acclamations. Cette partition agit comme ambiance sonore de l’exposition, un peu comme lorsqu’une musique vous entraine à dévaler certaines rues d’un village afin d’arriver sur la place centrale sur laquelle aurait lieu un bal, un banquet, une fête !

(There is) Always Someone Awake and Someone Asleep est cette veille perpétuelle dans laquelle :“Il y a […]
Quelqu’un qui rêve en dormant quelqu’un qui rêve éveillé. Quelqu’un qui mange quelqu’un qui a faim.
Quelqu’un qui se bat quelqu’un qui aime.
Quelqu’un de riche quelqu’un de démuni.
Quelqu’un qui voyage quelqu’un qui demeure.
Quelqu’un qui aide quelqu’un qui gène. Quelqu’un qui s’amuse quelqu’un qui souffre quelqu’un d’indifférent.
Quelqu’un qui débute quelqu’un qui termine.
Seule la fête est permanente.“[9]


Arlène Berceliot Courtin, Octobre 2017

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1 En Mars 1968, George Brecht et Robert Filliou annoncent la banqueroute de leur (non) boutique La Cédille qui Sourit suivie de la création de The Eternal Network / La Fête permanente. Ils élargissent ainsi leurs activités collectives établies à Villefranche-sur-Mer (1965-1968) à un réseau plus global, sans frontières.
2 Telle que la journée des calins, du pop-corn, la journée internationale du pull de noël, le Blue Monday – jour le plus déprimant de l’année et aussi emblématique morceau de New Order.
3 Le nom provient des phénoménales soirées organisées trois nuits par semaine pendant quarante semaines, c’est aussi (cela n’a pu vous échapper) un clin d’œil au Cent Vingt Journées de Sodome du Marquis de Sade.
4 Roger Caillois, définit le terme mimicry comme “une forme de mimétisme, une façon de jouer un rôle“. Les jeux et les hommes, ed. Gallimard, 1958.
5 Lors de son anniversaire, Fabrice Emaer (fondateur du Palace) très enjoué, invita la foule à voter François Mitterand, s’en est suivi un dispersement de moitié de la salle et une baisse de  fréquentation du club.
6 Roland Barthes, Au Palace ce soir, Incidents, ed. Seuil, 1987.
7 Drella fait ici référence au surnom d’Andy WarhoI, savant mélange de Dracula et Cinderella dont la Factory fût d’ailleurs le décor de célébrations mythiques.
8 Carrie est l’éponyme écolière aux pouvoirs télékinétiques du réalisateur américain Brian de Palma.
9 Catalogue de l’exposition La Cédille qui Sourit, George Brecht, Robert Filliou, Städtisches Museum Mönchengladbach, 18 Juin – 27 Juillet 1969.

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In March 1968, George Brecht and Robert Filliou announced the creation of La Fête permanente / The Eternal Network.1 Their festival had neither beginning nor end, it was constantly revitalised. (There is) Always Someone Awake and Someone Asleep offers a return to that state of continuous wakefulness, especially by creating a sense of the full moon and sleepless nights. “Today must be a day of celebration,” say Liam Gillick and Gabriel Kuri, to which they add “special days have been decreed with no pronouncement as to what use we put them to”. The work entitled La Fête au Quotidien is a structural score based on the time required for the exhibition. To do this, specific days have been allocated to celebrate new events, such as the Day of Chance and Luck, Music Day (which, in this case will not be on the day of the solstice, nor a harbinger of summer), Night-owls Day, Banishment-of-nostalgia Day, or Ecstatic-feelings Day. All these new festivals of fixed duration may perhaps become part of everyone’s calendar. La Fête au Quotidien leads us to rethink the way we celebrate things, whether they are movable or fixed feasts. But what do we mean by “celebrate” nowadays? As days seem to be constantly, and apparently consensually, assigned to various causes, how can we re-focus interest on the idea of celebration? And can the concept still be symptomatic of a generation? 2 In Eric Rohmer’s 1984 film Full Moon in Paris, Pascale Ogier (an 80s icon) vacillates between enjoying the nightlife of Paris and the peace and quiet of the suburbs. One of the most emblematic scenes of the film is a party filmed in the Paris nightclub Les 120 Nuits.3 On this subject, Rohmer once remarked that it is always difficult to film a party; he saw it as the most complex “mimicry” one can attempt to record.4 (There is) Always Someone Awake and Someone Asleep presents works from that period – the flowering, fluorescent Eighties –, but also works from the Nineties, the Noughties, the Twenty-tens, right up to the present day, so that a wider spectrum of conventions, signs and language associated with both daytime and night-time celebrations is held up for us to contemplate. It is that difficult exercise that this desire to analyse celebration seems to be presenting. So how was it in 1984? And how does it seem today? One can imagine the conversation between Mick Jagger and Roland Barthes at the Palace just before the election of François Mitterrand? 5 According to Barthes, who was a frequent visitor to the club, “The Palace brings together, in a place with its own character, pleasures that are usually disconnected: the theatre as a lovingly preserved building [...] the exploration, thanks to new technology, of new visual sensations; the joy of dancing; the charm of possible encounters. All those things amount to something very ancient that is called Celebration and is very different from entertainment – a whole range of sensations designed to make people happy for the space of a night.6 Such gatherings take place in dedicated spaces, private (or not), by night (but not necessarily), and they are demonstrative of an era, a community, a kind of pleasure, and, taken together, are the projection of a unique, social and political moment.
In 1994, Bruno Serralongue created one of his first series; it was entitled Les Fêtes. For it, he travelled around the Provence-Alpes-Côte-d’Azur region after contacting local town halls and tourist offices to collect information about the various summer events. The series incorporates all kinds of festivities, including La Fête du Palmier, La Fête de la Musique (Music Day again), and Le Bal de Bacchus (“A Bacchanalian Dance”). They were all attempts to divert tourists’ attention away from the Mediterranean beaches. Two years later, Liam Gillick and Gabriel Kuri created the above-mentioned La Fête au Quotidien. At the end of the same decade, Amy O’Neill presented Post-Prom for the “Bastard Kids of Drella / Part 9” collective exhibition organized by Steven Parrino at the Consortium.7 An “all-over” installation in which rainbow-coloured balloons, confetti canons and other decorations were used in a reconstruction of the prom in Carrie.8 So what is this gentle sarcasm all about? And what could the current tropes of celebration be? If you look around, you may see an audio cassette with “Anger” written on it. The significance of this now-obsolete recording medium is surely a metonymy of a nostalgic vision of a particular time and sound. The word also unleashes a new analogue support for future idiosyncratic narratives. In the same way as Anne Collier’s Questions series, it invites us to question the connections between the various protagonists at this celebration – the way in which events, those who act in them and those who commission them are connected; for what reasons and with what consequences. It happens perhaps in the night, like the exchange between Pierre Paulin and Philippe Decrauzat that was recorded until dawn.
That dialogue is transcribed in the form of a poem printed on a garment lining with a zip-fastener system through which the text can be partially glimpsed. Or it may happen through ways of connecting facial expressions. Like Lessons in Posing Subjects by Robert Heinecken, which analyses the unconscious codifications and messages contained in our gestures and body language in front of a camera. The models were re-photographed from magazines and various catalogues, and the para-images thus obtained have become media and behavioural analyses of an era. Reading the texts above these Polaroids, it is difficult not to burst out laughing or at least to give an ironic smile. A similar feeling arises in Ceal Floyer’s installation, Mutual Admiration, an endless loop of applause emitted by face-to-face loudspeakers; the speakers give the impression of being the actual authors of the ovation. This installation acts as a sound track for the exhibition, rather like when the sound of music guides you down the streets of a village until you reach the main square, where a ball, or a street party is taking place – a celebration, in short.
Always Someone Awake and Someone Asleep is a perpetual vigil in which “There is […]
Someone dreaming asleep someone dreaming awake
Someone eating someone hungry
Someone fighting someone loving
Someone making money someone broke
Someone travelling someone staying put
Someone helping someone hindering
Someone enjoying someone suffering someone indifferent
Someone starting someone stopping
The Network is Everlasting”9

Arlène Berceliot Courtin, October 2017

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1 In March 1968, George Brecht and Robert Filliou declared their (non-)boutique La Cédille qui Sourit bankrupt, and followed up with the creation of The Eternal Network / La Fête permanente. This was an extension of their collective activities in Villefranche-sur-Mer (1965-1968) into a more international network without frontiers.
2 Such as: Hugs day; Popcorn day; International Christmas-pullover day; Blue Monday – the most depressing day of the year, hence an emblematic track by New Order.
3 The name was taken from the fabulous parties held three nights a week over a period of forty weeks. There was also (as you will have guessed) a reference to the Marquis de Sade’s 120 Days of Sodom.
4 “Mimicry” in Roger Caillois’s sense, in his book Man, Play and Games (1958) , “an instinct for depersonalization and assimilation into space” – “a conjunction of mask and trance”.
5 On his birthday, Fabrice Emaer (founder of the Palace) cheerfully invited clubbers to vote for François Mitterrand; half the house responded by leaving and attendance at the club subsequently fell.
6 Roland Barthes, Au Palace ce soir, in Incidents, Editions du Seuil, 1987.
7 Drella refers to Andy Warhol’s nickname, a mixture of Dracula and Cinderella. Warhol’s Factory was the setting for fabulous celebrations.
8 Carrie is the heroine with supernatural powers of American director Brian de Palma’s film of the same name.
9 Exhibition catalogue for La Cédille qui Sourit [‘The cedilla that smiles’], George Brecht, Robert Filliou, Städtisches Museum Mönchengladbach, 18 June – 27 July 1969.